La mission de la CRA
La loi du 21 février 2005 modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne la médiation prévoit que le juge peut de sa propre initiative mais avec l’accord des parties ordonner une médiation. Cela fait donc plus de 15 ans que le législateur a souhaité donner une part active au juge dans la promotion des modes de résolution amiable des litiges.
Depuis près de 10 ans, le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles (en abrégé TEFB) (anciennement tribunal de commerce) a mis en place des outils pour promouvoir la médiation : sélection de dossiers pour lesquels le tribunal suggère aux parties d’envisager la médiation, permanence de médiateurs agréés organisée en étroite collaboration avec le barreau, formation interne sur mesure des greffiers, juges de carrière, juges consulaires et juges suppléants sur le moment et la manière de prescrire la médiation.
La loi du 18 juin 2018 portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges a confirmé et renforcé le rôle du juge dans la promotion des modes de résolution amiable des litiges. Ainsi, par exemple, elle a souligné que le juge pouvait favoriser les modes de résolution amiable des litiges en tout état de la procédure (Article 730/1, §1er du Code judiciaire), elle a rappelé de manière expresse qu’il entre dans la mission du juge de concilier les parties (Article 730/1, §1er du Code judiciaire), elle lui a même donné, dans certaines conditions, la possibilité d’imposer la médiation (Article 1734, §1er du Code judiciaire).
Il n’en fallait pas plus au TEFB pour décider de promouvoir de manière plus structurelle non seulement la médiation mais également la conciliation.
Lors de l’une ou l’autre audience, la plupart des juges du TEFB ont déjà réussi à concilier les parties ou à les convaincre d’aller en médiation. Il n’est cependant pas évident de concilier ou de promouvoir la médiation alors que le temps manque en chambre d’introduction et que les chambres de plaidoiries sont surchargées et ne prennent connaissance des dossiers qu’en fin de procédure.
Beaucoup de dossiers qui présentaient pourtant de bonnes chances d’être solutionnés rapidement dans le cadre d’une conciliation ou d’une médiation n’ont donc pas pris cette voie et ont été dirigés vers la procédure judiciaire ordinaire avec tout ce qu’elle a de conflictuel, long et couteux. Une occasion manquée.
Le TEFB a donc décidé de créer une chambre de règlement amiable (en abrégé CRA) composée de juges formés en conciliation et/ou médiation qui a pour mission de tenir des audiences de conciliation ainsi que de promouvoir la conciliation et/ou la médiation selon le mode de règlement amiable qui semble le plus approprié pour résoudre le litige.
La promotion de la conciliation et de la médiation
Comme par le passé, la CRA du TEFB va continuer de sélectionner les dossiers dans lesquels elle suggère aux parties d’envisager la médiation. Pendant l’audience de la CRA, se tiendra la permanence de médiateurs agréés organisée en étroite collaboration avec le barreau. Cette permanence a pour objectif de dispenser de l’information sur le processus de médiation et, éventuellement, de permettre la désignation du médiateur (qu’il s’agisse du permanent ou non) par la CRA.
Une nouveauté est que la sélection va pouvoir être plus large car la CRA du TEFB va également pouvoir sélectionner les dossiers dans lesquels elle suggère aux parties d’envisager la conciliation vu que la CRA peut désormais offrir cette possibilité aux parties.
Les parties seront convoquées d’initiative par le greffe à la première audience utile de la CRA afin d’y examiner la possibilité de résoudre le litige par la conciliation ou la médiation.
L’audience de conciliation
La conciliation diffère de la médiation.
Les juges conciliateurs de la CRA du TEFB ne vont pas pouvoir rechercher longuement les intérêts et les besoins des parties pour permettre à ces dernières d’élaborer une solution le cas échéant originale par rapport à ce qu’elles pourraient ou auraient demandé au tribunal, comme le ferait un médiateur.
Ces juges conciliateurs vont tenter sur une courte durée (généralement de 30 à 60 minutes) d’amener les parties à résoudre leur conflit et pourront pour ce faire donner leur avis, suggérer des solutions aux parties et/ou les confronter aux réalités juridiques et judiciaires.
Le juge conciliateur est donc indépendant et impartial comme le médiateur mais il n’est pas neutre.
Lors des audiences de conciliation de la CRA du TEFB, il n’est pas question du principe du contradictoire ou de la publicité des débats. Tous les échanges qui interviennent pendant ces audiences sont confidentiels et, si les parties sont d’accord, la CRA peut s’entretenir en aparté avec chacune des parties.
Vu les spécificités de la CRA du TEFB, il va de soi que les juges conciliateurs ne seront jamais amenés à trancher le fond du litige dont ils ont eu à connaitre dans le cadre d’une conciliation qui n’aurait pas abouti.
La CRA n’a cependant aucun monopole et tous les juges du TEFB restent libres, comme par le passé, de concilier et promouvoir la médiation dans les dossiers dont ils ont à connaitre. Ces juges devront cependant être plus prudents et ne pourront pas bénéficier des règles de confidentialité et de la possibilité d’aparté.
Vous l’aurez compris, la CRA du TEFB est une toute autre manière de contribuer à la paix sociale et ses règles de fonctionnement sont fondamentalement différentes de celles d’une procédure judiciaire ordinaire.
Comment soumettre un litige à la CRA à fin de conciliation ?
1. Requête sur pied de l’article 731 du Code judiciaire
Dans l’hypothèse où une procédure judiciaire ordinaire n’a pas encore été introduite, le litige peut être soumis à la CRA à la requête d’une des parties ou de leur commun accord (Article 731 du Code judiciaire). Les parties seront convoquées par le greffe à la première audience utile de la CRA.
Aucun frais d’huissier, ni indemnité de procédure, ni droit de mise au rôle ne seront dus.
La comparution en conciliation se termine par un procès-verbal qui constate l’échec de la conciliation ou les termes de l’accord. Ce procès-verbal clôt l’instance.
En cas d’échec de la conciliation, les parties sont libres d’introduire ultérieurement une procédure judiciaire ordinaire pour voir trancher leur différend par le TEFB.
2. Demande en cours de procédure judiciaire
Dans l’hypothèse où une procédure judiciaire ordinaire a déjà été introduite (exemple : par voie de citation), les parties peuvent demander individuellement ou de commun accord, par simple lettre ou courriel (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.) au greffe ou oralement lors d’une audience, de fixer/renvoyer le dossier devant la CRA. Les parties seront convoquées par le greffe à la première audience utile de la CRA.
Si la conciliation aboutit, le sort des frais d’huissier, des indemnités de procédure et des droits de mise au rôle devra être précisé dans les termes de l’accord.
En cas d’échec de la conciliation, la procédure judiciaire ordinaire pourra être poursuivie devant la chambre à laquelle le dossier avait été attribué avant d’être renvoyé à la CRA.
Un rôle actif pour l’avocat
Loin d’être dépossédé de la défense de son client, l’avocat s’engage au contraire pleinement dans la recherche d’une solution satisfaisante pour son client. La conciliation permet à l’avocat de participer pleinement, au côté du juge et non plus seulement face à lui, à l’œuvre de justice. Nous sommes bien conscients du changement de perspective que cela implique pour les plaideurs. Nous gageons que l’avocat a tout à y gagner : il conserve une réelle maitrise du processus, sans devoir « attendre » un jugement dont il ne peut prédire ni le contenu ni le délai et il s’assure la satisfaction de son client face à une solution plus rapide.
Soyons de bon compte, si nous espérons que la conciliation connaitra de beaux jours et des développements prometteurs, il demeurera des causes qui devront être tranchées par la voie contentieuse. La conciliation vient justement compléter les outils de la justice, sans lesquels cette dernière est impuissante à rendre fluides et harmonieux les échanges entre les citoyens et, en ce qui nous concernent, les entreprises. Par ces temps de crise, ce serait un tort de s’en priver.
Paul Dhaeyer, président du tribunal de l’entreprise de Bruxelles,
Sylvie Frankignoul, juge au tribunal de l’entreprise de Bruxelles